« Je sÚche un peu. Comment vous traduiriez xxxxx ? »

Ce type de message apparaĂźt frĂ©quemment sur les forums de traduction. Et la personne qui demande de l’aide n’est pas en manque de dictionnaires ! Non, elle demande plutĂŽt un coup de pouce pour faire jaillir une Ă©tincelle de crĂ©ativitĂ©. Souvent la premiĂšre rĂ©ponse des collĂšgues sur le forum ressemble à :

« Tu nous donnes un peu de contexte ? »

car il est difficile, voire impossible, de traduire ou de formuler une idĂ©e prĂ©cise sans contexte. Si vous exercez l’un des mĂ©tiers de l’écrit, vous en avez peut-ĂȘtre fait l’expĂ©rience vous-mĂȘme.

đŸ› ïžPourquoi le contexte est-il fondamental ?

Traduire ou rĂ©diger du contenu destinĂ© au web ne se limite pas Ă  l’opĂ©ration technique d’aligner des mots sur une ligne. Nos mĂ©tiers de l’écrit sont des mĂ©tiers de passeuses et de passeurs. Nous transmettons le message de quelqu’un Ă  quelqu’un d’autre, d’une organisation Ă  son public, d’une entreprise Ă  sa clientĂšle, par exemple.

Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une analyse du contexte du document, qui dans les grandes lignes rĂ©pond Ă  trois questions :

  • Qui Ă©crit ?
  • Quel est le message ?
  • Qui va le lire ?

📚Guide de style ou Charte Ă©ditoriale

Nous trouvons une partie des rĂ©ponses Ă  ces questions ainsi que d’autres plus techniques sur le style et les conventions dans un document qui Ă©volue avec l’organisation et constitue une sorte de cahier des charges. En traduction, nous parlons d’un guide de style, les rĂ©dactrices et rĂ©dacteurs travaillent Ă  l’aide d’une charte Ă©ditoriale, mais le contenu est relativement proche. Ce document est essentiel pour les prestataires linguistiques, qui y trouvent la description de la voix de l’entreprise (tone of voice).

Avec quelques annĂ©es d’expĂ©rience, l’analyse du contexte se fait automatiquement, sans y rĂ©flĂ©chir. Si nous rĂ©digeons du contenu ou traduisons pour cette entreprise depuis 5 ans, nous connaissons son image, son style et ses valeurs, donc nos choix terminologiques, le rythme des phrases, les accroches s’imposent naturellement. Mais il suffit qu’un nouveau critĂšre surgisse, et tout est Ă  recommencer.

🌈RĂ©daction Ă©picĂšne (ou Ă©criture inclusive)

C’est le cas de la rĂ©daction Ă©picĂšne. En l’adoptant, l’importance de l’analyse se ravive. À nouveau, nous examinons les valeurs et le degrĂ© d’ouverture de l’organisation qui Ă©met le texte au regard de ce critĂšre. Nous Ă©tudions la teneur du message et la perception qu’aura le lectorat de la rĂ©daction Ă©picĂšne, car ces Ă©lĂ©ments vont nous aider Ă  faire des choix, Ă  privilĂ©gier telle ou telle solution Ă©vitant le tout-masculin, plus discrĂšte, plus audacieuse selon la sensibilitĂ© des parties prenantes. DĂ©finir une stratĂ©gie en amont du travail de rĂ©daction ou de traduction : refĂ©minisation, dĂ©masculinisation, Ă©picĂ©nisation
 facilite le tri des solutions que nous mettrons ensuite en Ɠuvre.

🎯DĂ©finir une stratĂ©gie

Pour dĂ©finir une stratĂ©gie, nous allons aussi nous pencher sur le degrĂ© d’engagement de l’organisation, celui du lectorat et le nĂŽtre, bien sĂ»r. Ose-t-on provoquer ? Quelle solution est perçue comme militante ? Jusqu’oĂč voulons-nous aller, sachant que nous devons toujours pouvoir justifier nos choix et signer notre document final ? Les seules limites rĂ©elles sont celles que dĂ©finit le contexte.

📝Un exemple ?

Si mon contexte est une publication de vulgarisation scientifique destinĂ©e Ă  des 6-10 ans, je vais d’emblĂ©e Ă©carter les nĂ©ologismes (celleux, iels
) et les Ă©picĂšnes un peu rares que les enfants ne connaissent pas encore, mais j’opterai pour les Ă©picĂšnes courants qui m’éviteront d’abuser des doublets (ex. : chercheuses et chercheurs en biologie > biologistes). En revanche, je vais privilĂ©gier un style direct et le tutoiement qui Ă©vite les termes genrĂ©s dĂ©signant des ĂȘtres humains (ex. : les garçons dĂ©couvriront les aspects techniques > tu dĂ©couvriras les aspects techniques). Je vais veiller Ă  respecter la double flexion en Ă©quilibrant le fĂ©mini et le masculin en premiĂšre position (chercheuses et chercheurs ; laborantins et laborantines), car inconsciemment la premiĂšre position signe la prĂ©pondĂ©rance (Ă©couter Ă  ce sujet le chercheur en psycholinguistique Pascal Gygax).

💬Dialoguer avec la clientùle

Avec l’automatisation du processus de gestion de projets et l’évolution de la traduction automatique, les contacts avec la clientĂšle (agences ou directe) se rarĂ©fient. S’emparer du sujet de la rĂ©daction Ă©picĂšne et discuter des prĂ©fĂ©rences de l’entreprise offre une perspective de dialogue qui rĂ©humanise le processus et la relation. Ne nous en privons pas !

Donc aprĂšs un temps de dialogue fructueux et en m’appuyant sur le corpus de l’entreprise cliente, je vais pouvoir actualiser son guide de style ou sa charte Ă©ditoriale et lui proposer un paragraphe consacrĂ© Ă  la rĂ©daction Ă©picĂšne qui affiche les prioritĂ©s, les prĂ©fĂ©rences et les interdits afin d’harmoniser sa communication Ă©crite sous cet angle spĂ©cifique.

Et vous, recevez-vous le guide de style ou la charte Ă©ditoriale de vos clients et clientes de maniĂšre systĂ©matique ? Avez-vous dĂ©jĂ  proposĂ© des Ă©lĂ©ments pour l’actualiser ?

 

POUR EN SAVOIR PLUS SUR ISABELLE MEURVILLE