« Je sèche un peu. Comment vous traduiriez xxxxx ? »

Ce type de message apparaît fréquemment sur les forums de traduction. Et la personne qui demande de l’aide n’est pas en manque de dictionnaires ! Non, elle demande plutôt un coup de pouce pour faire jaillir une étincelle de créativité. Souvent la première réponse des collègues sur le forum ressemble à :

« Tu nous donnes un peu de contexte ? »

car il est difficile, voire impossible, de traduire ou de formuler une idée précise sans contexte. Si vous exercez l’un des métiers de l’écrit, vous en avez peut-être fait l’expérience vous-même.

Pourquoi le contexte est-il fondamental ?

Traduire ou rédiger du contenu destiné au web ne se limite pas à l’opération technique d’aligner des mots sur une ligne. Nos métiers de l’écrit sont des métiers de passeuses et de passeurs. Nous transmettons le message de quelqu’un à quelqu’un d’autre, d’une organisation à son public, d’une entreprise à sa clientèle, par exemple.

Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une analyse du contexte du document, qui dans les grandes lignes répond à trois questions :

  • Qui écrit ?
  • Quel est le message ?
  • Qui va le lire ?

Guide de style ou Charte éditoriale

Nous trouvons une partie des réponses à ces questions ainsi que d’autres plus techniques sur le style et les conventions dans un document qui évolue avec l’organisation et constitue une sorte de cahier des charges. En traduction, nous parlons d’un guide de style, les rédactrices et rédacteurs travaillent à l’aide d’une charte éditoriale, mais le contenu est relativement proche. Ce document est essentiel pour les prestataires linguistiques, qui y trouvent la description de la voix de l’entreprise (tone of voice).

Avec quelques années d’expérience, l’analyse du contexte se fait automatiquement, sans y réfléchir. Si nous rédigeons du contenu ou traduisons pour cette entreprise depuis 5 ans, nous connaissons son image, son style et ses valeurs, donc nos choix terminologiques, le rythme des phrases, les accroches s’imposent naturellement. Mais il suffit qu’un nouveau critère surgisse, et tout est à recommencer.

Rédaction épicène (ou écriture inclusive)

C’est le cas de la rédaction épicène. En l’adoptant, l’importance de l’analyse se ravive. À nouveau, nous examinons les valeurs et le degré d’ouverture de l’organisation qui émet le texte au regard de ce critère. Nous étudions la teneur du message et la perception qu’aura le lectorat de la rédaction épicène, car ces éléments vont nous aider à faire des choix, à privilégier telle ou telle solution évitant le tout-masculin, plus discrète, plus audacieuse selon la sensibilité des parties prenantes. Définir une stratégie en amont du travail de rédaction ou de traduction : reféminisation, démasculinisation, épicénisation… facilite le tri des solutions que nous mettrons ensuite en œuvre.

Définir une stratégie

Pour définir une stratégie, nous allons aussi nous pencher sur le degré d’engagement de l’organisation, celui du lectorat et le nôtre, bien sûr. Ose-t-on provoquer ? Quelle solution est perçue comme militante ? Jusqu’où voulons-nous aller, sachant que nous devons toujours pouvoir justifier nos choix et signer notre document final ? Les seules limites réelles sont celles que définit le contexte.

Un exemple ?

Si mon contexte est une publication de vulgarisation scientifique destinée à des 6-10 ans, je vais d’emblée écarter les néologismes (celleux, iels…) et les épicènes un peu rares que les enfants ne connaissent pas encore, mais j’opterai pour les épicènes courants qui m’éviteront d’abuser des doublets (ex. : chercheuses et chercheurs en biologie > biologistes). En revanche, je vais privilégier un style direct et le tutoiement qui évite les termes genrés désignant des êtres humains (ex. : les garçons découvriront les aspects techniques > tu découvriras les aspects techniques). Je vais veiller à respecter la double flexion en équilibrant le fémini et le masculin en première position (chercheuses et chercheurs ; laborantins et laborantines), car inconsciemment la première position signe la prépondérance (écouter à ce sujet le chercheur en psycholinguistique Pascal Gygax).

Dialoguer avec la clientèle

Avec l’automatisation du processus de gestion de projets et l’évolution de la traduction automatique, les contacts avec la clientèle (agences ou directe) se raréfient. S’emparer du sujet de la rédaction épicène et discuter des préférences de l’entreprise offre une perspective de dialogue qui réhumanise le processus et la relation. Ne nous en privons pas !

Donc après un temps de dialogue fructueux et en m’appuyant sur le corpus de l’entreprise cliente, je vais pouvoir actualiser son guide de style ou sa charte éditoriale et lui proposer un paragraphe consacré à la rédaction épicène qui affiche les priorités, les préférences et les interdits afin d’harmoniser sa communication écrite sous cet angle spécifique.

Et vous, recevez-vous le guide de style ou la charte éditoriale de vos clients et clientes de manière systématique ? Avez-vous déjà proposé des éléments pour l’actualiser ?

 

POUR EN SAVOIR PLUS SUR ISABELLE MEURVILLE