đLes cycles des hommes
(Ils en ont, eux aussi)
TITRE ORIGINAL « Menâs Cycles (They Have Them Too You Know) »
Note de la directrice de publication : dans le cadre de la JournĂ©e de lâhygiĂšne menstruelle, le 28 mai, Ms. ublie Ă nouveau cet article devenu une rĂ©fĂ©rence depuis sa premiĂšre publication en 1972. Lâautrice de lâarticle original (ci-dessous) est la docteure Estelle Ramey ; sa petite-fille, Jessica Stender, juriste fĂ©ministe et contributrice de notre magazine a rĂ©digĂ© lâintroduction afin de revisiter Ă lâaune du jour les sujets explorĂ©s par Estelle Ramey en 1972.
Lâaffirmation que « lâanatomie dĂ©finit notre destinĂ©e » a confinĂ© les femmes durant des siĂšcles. DerriĂšre cette affirmation se cache lâidĂ©e que les hormones des femmes les rendent inaptes Ă exercer des responsabilitĂ©s.
En 1970, le docteur Edgar Berman, mĂ©decin du vice-prĂ©sident Humphrey et membre du ComitĂ© sur les prioritĂ©s nationales au sein du Parti dĂ©mocrate amĂ©ricain, rĂ©futait la dĂ©claration de Pasty Mink, parlementaire amĂ©ricaine, quâune femme pourrait ĂȘtre prĂ©sidente. Il arguait de leur comportement « dĂ©sĂ©quilibrĂ© lors des tempĂȘtes hormonales mensuelles. »
La femme qui devait lui faire ravaler ses arguments était ma grand-mÚre, la docteure Estelle Ramey.
Dans une lettre ouverte publiĂ©e dans le Washington Star, elle sâĂ©tonnait quâen qualitĂ© dâendocrinologue (spĂ©cialiste de lâĂ©tude des hormones) « On lui apprenne que les hormones ovariennes se rĂ©vĂ©laient toxiques pour les cellules cĂ©rĂ©brales. » Les deux protagonistes entamaient alors un long dĂ©bat extrĂȘmement mĂ©diatisĂ© par le National Womenâs Press Club (le National Press Club excluait Ă lâĂ©poque toute adhĂ©sion de femme). Leur confrontation sâĂ©largit au final pour sensibiliser le grand public Ă lâinvaliditĂ© scientifique de lâargument.
Dans son article « Menâs Cycles (They Have Them Too You Know) » publiĂ© dans le premier numĂ©ro de Ms. Magazine en 1972 et reproduit ici, la docteure Ramey rĂ©vĂ©lait le sexisme inhĂ©rent aux affirmations comme celle du docteur Berman. Elle expliquait que les variations hormonales touchent tous les ĂȘtres humains. En outre, et on le reconnait moins volontiers, les hommes traversent aussi des cycles hormonaux mensuels qui causent des changements dâhumeur, dâĂ©nergie et de bien-ĂȘtre dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale.
Elle soulignait combien le dĂ©ni total de cette rĂ©alitĂ©, dâune part, empĂȘche de comprendre les rĂ©percussions de ces cycles sur la santĂ© physique et mentale des hommes, et dâautre part, perpĂ©tue le mythe de lâinfĂ©rioritĂ© des femmes basĂ©e sur leur diffĂ©rence biologique par essence.
La docteure Ramey insistait sur le fait quâ« il existe bien plus dâaspects humains et identiques chez les mĂąles et les femelles Homo Sapiens que de diffĂ©rences. »
Le point de vue de la sociĂ©tĂ© dans son ensemble a indubitablement Ă©voluĂ© quant aux capacitĂ©s des femmes, mais elles continuent dâĂȘtre dĂ©nigrĂ©es et de se voir refuser des postes de pouvoir au motif dâune infĂ©rioritĂ© physiologique.
Il suffit dâobserver lâoccupant actuel de la Maison blanche qui suggĂ©rait crument que la reporter Megyn Kelly avait ses rĂšgles aprĂšs quâelle lâait interrogĂ© pendant un dĂ©bat prĂ©sidentiel, et qui ne cesse de faire des commentaires humiliants sur lâapparence, la vraie place des femmes et leur rĂ©sistance Ă©motionnelle. Il qualifiait ainsi Hillary Clinton dâ«instable », de « dĂ©sĂ©quilibrĂ©e » et de « dĂ©traquĂ©e ».
Comme le faisait remarquer la docteure Ramey, une reconnaissance sociĂ©tale au sens large des similaritĂ©s inhĂ©rentes aux deux sexes imposera de mettre fin au « mythe de la stabilitĂ© biologique masculine ». Cet impĂ©ratif nâest pas devenu rĂ©alitĂ©, peut-ĂȘtre parce que « la logique nâa pas grand-chose Ă voir avec la volontĂ© de consacrer et de justifier un systĂšme de domination. »
đLes cycles des hommes (Ils en ont, eux aussi)
 « La domination masculine repose sur la croyance que les femmes sont des hommes infirmes, parce quâelles ont des cycles et ne possĂšdent pas de baguette divine. »
TĂŽt ou tard, lors de toutes les polĂ©miques de fin de soirĂ©e au sujet des femmes, quelquâun (gĂ©nĂ©ralement un homme) sort son atout.
« Vous devez bien reconnaĂźtre », commence lâaccusateur empreint de rationalisme et de paternalisme, « que les femmes sont biologiquement diffĂ©rentes des hommes. »
Cette entrĂ©e en matiĂšre donne le signal des revendications du type « Vive la diffĂ©rence » ou dâautres boutades sexuelles. Ce Ă quoi, la partie dĂ©fenderesse (souvent une femme) avance lâargument de la justice sociale noyĂ©e sous les insinuations et les rires gras.
En tant quâendocrinologue, je sais depuis un moment que les hommes et les femmes prĂ©sentent des diffĂ©rences. Toutefois, il existe bien plus dâaspects humains et identiques chez les mĂąles et les femelles Homo Sapiens que de diffĂ©rences. Nous commençons toutes et tous Ă comprendre que « la diffĂ©rence » quand elle concerne les femmes ou les hommes dâautres races, a Ă©tĂ© exagĂ©rĂ©e et curieusement interprĂ©tĂ©e jusquâĂ devenir synonyme dâ«infĂ©riorité ».
En rĂ©alitĂ©, les accusations et les rires si frĂ©quents dans les conversations de salons ressemblent de prĂšs Ă une profession de foi : une forme de louanges de la grande doctrine freudienne que « lâanatomie dĂ©finit notre destinĂ©e ».
Toute justification rationnelle de discrimination sexiste devenant de plus en plus compliquĂ©e Ă trouver, et plus encore Ă argumenter, lâurgence de la domination masculine religieuse se fait ressentir plus intensĂ©ment. Une vague de pseudo biologie et de pseudo anthropologie sâest rĂ©cemment abattue sur le secteur de la presse. IncarnĂ©e par Lionel Tiger, elle repose sur la croyance que les femmes devraient se comporter comme les femelles babouins. Impressionnante recrudescence auto-protectrice de cette religion en vogue !
Dans les faits, la religion sâadosse Ă la croyance que les femmes sont des hommes infirmes, dĂ©faillantes par essence, puisquâil leur manque la baguette divine.
(Il est manifeste que les DĂ©esses MĂšres ont fait lâobjet dâadoration prĂ©cisĂ©ment pour la raison inverse, Ă savoir quâelles possĂšdent un utĂ©rus, dont les hommes sont privĂ©s, mais la volontĂ© de consacrer et de justifier un systĂšme de domination lâemporte sur toute logique.)
En outre, la rĂ©gularitĂ© et le calme du comportement des hommes manquent aux femmes, parce que les femmes souffrent dâune forme dâaliĂ©nation mensuelle imposĂ©e par le rythme lunaire de leurs hormones sexuelles. Les hommes, selon cette thĂ©orie, sont des leaders naturels, douĂ©s dâune stabilitĂ© biologique Ă toute Ă©preuve.
Soyons Ă©quitables, le spectacle rĂ©current des saignements menstruels a dĂ» sĂ©rieusement dĂ©contenancer les populations primitives. Pour les hommes, les effusions de sang sont toujours associĂ©es aux blessures, Ă la maladie ou Ă la mort. Seule la moitiĂ© fĂ©minine de lâhumanitĂ© possĂ©dait cette aptitude magique Ă saigner Ă profusion et Ă se relever de ce bain de sang, telles des phĆnix, chaque mois.
Cependant, les connaissances humaines ayant dĂ©sormais dĂ©passĂ© la phase imaginative dâĂ©laboration des mythes pour expliquer les Ă©vĂ©nements les plus visibles de la nature, nous devrions dĂ©sormais ĂȘtre en mesure dâaccepter et dâĂ©tudier les preuves moins visibles des cycles Ă lâĆuvre chaque mois, chaque jour, dans tous les ĂȘtres vivants : hommes, femmes, plantes et animaux.
đCar, OUI, les hommes ont des cycles mensuels ! Leur manifestation est peut-ĂȘtre moins spectaculaire, mais les variations mensuelles nâen sont pas moins rĂ©elles.
Au Danemark, par exemple, une Ă©tude mĂ©ticuleuse menĂ©e pendant seize annĂ©es a analysĂ© les urines masculines pour observer la variation des taux dâhormones sexuelles masculines quâelle contenait. LâĂ©tude conclut que le flux et le reflux des hormones suit trĂšs nettement un rythme de 30 jours.
Dâautres Ă©tudes ont observĂ© les changements dâhumeur chez les hommes. Ainsi, il y a plus de quarante ans, feu le docteur Rex Hersey Ă©tait convaincu que lâon se trompait sur la stabilitĂ© et la rĂ©gularitĂ© de la production quotidienne des ouvriers dâusine. Pendant un an, il a Ă©tudiĂ© les cadres et les ouvriers en se concentrant sur un groupe dâhommes qui semblaient particuliĂšrement bien Ă leur place et Ă lâaise dans leurs tĂąches.
En combinant quatre entretiens quotidiens avec les ouvriers, des examens corporels rĂ©guliers et une sĂ©rie dâentretiens complĂ©mentaires avec leur famille, il est parvenu Ă dresser des tableaux par individu, qui dessinent leur variation Ă©motionnelle de maniĂšre prĂ©visible selon un premier rythme de 24 heures et un autre plus long dâenviron un mois (quatre Ă six semaines).
Les pĂ©riodes dâĂ©nergie en berne se caractĂ©risaient par une certaine apathie, de lâindiffĂ©rence ou une tendance Ă exagĂ©rer des incidents mineurs hors de toute proportion. Les pĂ©riodes fastes se distinguaient souvent par un sentiment de bien-ĂȘtre, dâĂ©nergie, un poids infĂ©rieur et un moindre besoin de sommeil.
Chaque homme avait tendance Ă nier ĂȘtre plus ou moins irritable, plus ou moins aimable Ă diffĂ©rentes phases de son cycle, mais les tests psychologiques normalisĂ©s mettaient clairement en Ă©vidence quâil rĂ©pondait dâune maniĂšre trĂšs diffĂ©rente Ă la mĂȘme situation stressante selon la phase de son cycle. Ce dĂ©ni par les hommes dâune cyclicitĂ© traditionnellement acceptĂ©e par les femmes constituerait un facteur primordial : une Ă©pĂ©e Ă double tranchant, pour les hommes comme pour les femmes.
Lâacceptation par les femmes de leur cycle mensuel, voire leur obsession Ă cet Ă©gard, pourrait en accentuer inutilement les effets. Ainsi, les femmes activement impliquĂ©es dans un travail satisfaisant et valorisant constatent nettement moins de gĂȘne ou de troubles Ă©motionnels pendant leur phases biologiques hautes et basses que celles qui sâennuient ou sont relĂ©guĂ©es Ă des travaux abrutissants.
MĂȘme lâanalyse des statistiques scientifiques subit un biais culturel. Les gĂȘnes menstruelles sont considĂ©rĂ©es normales chez les femmes, Ă juste titre, car 60 % des femmes les mentionnent.
Pourtant, le pendant de cette observation, Ă savoir que 40 % des femmes ne constate aucun symptĂŽme cyclique, est passĂ© sous silence. Or 40 % des femmes, ça nâest pas rien.
Par ailleurs, on souligne toujours combien les femmes ont plus dâaccidents de voiture et se suicident plus pendant leurs « rĂšgles ». On ajoute rarement que le pourcentage de femmes ayant un accident ou se suicidant reste trĂšs infĂ©rieur au pourcentage des hommes.
Dâun autre cĂŽtĂ©, les hommes rĂ©agissent aux cycles dâune maniĂšre dĂ©coulant directement de lâimage quâils ont dâeux-mĂȘmes, acquise culturellement. Ils les nient.
« De la réticence à regarder en face leur asservissement biologique »
Cette rĂ©ticence Ă regarder en face leur asservissement biologique a probablement attĂ©nuĂ© les symptĂŽmes mensuels des hommes par rapport Ă ceux des femmes, car le cerveau humain est extraordinairement puissant et influençable. En repoussant les recherches sur les cycles masculins dans une communautĂ© scientifique largement composĂ©e dâhommes, elle a aussi retardĂ© la prise en compte pratique des rythmes biologiques dans le traitement des maladies ou dans la protection contre les maladies mentales et physiques. (La rĂ©sistance aux maladies varie dâune phase Ă lâautre du cycle. Or cet aspect est rarement pris en considĂ©ration dans les soins. Une Ă©quipe de recherche japonaise a dĂ©couvert que des psychoses surviennent chez les hommes, adolescents et adultes, selon un cycle quasi mensuel.)
đEn diminuant le taux dâaccidents, lâĂ©tude des cycles des hommes pourrait mĂȘme avoir des implications commerciales et sociales intĂ©ressantes.
Ainsi, la direction dâOmi Railway Company, au Japon, a voulu Ă©tudier le comportement humain par pur pragmatisme et dĂ©cidĂ© dâaccepter le fait que lâhumeur et lâefficacitĂ© des hommes suivent des cycles lunaires. Lâentreprise exploite un systĂšme de transport privĂ© de plus de 700 bus et taxis dans les quartiers de circulation dense de Kyoto et dâOsaka.
Les accidents causaient des pertes Ă©levĂ©es pĂ©nalisant les activitĂ©s de la rĂ©gie de transport. Lâexpertise en efficacitĂ© dâOmi remonte Ă 1969. Les spĂ©cialistes ont menĂ© des Ă©tudes sur chaque homme et ses cycles lunaires afin dâadapter les trajets et les horaires et de les faire coĂŻncider avec la pĂ©riode mensuelle judicieuse pour chaque travailleur. Omi a constatĂ© une chute dâun tiers du taux dâaccidents depuis deux ans, malgrĂ© la hausse de la circulation pendant cette mĂȘme pĂ©riode. Lâentreprise constate un avantage non nĂ©gligeable pour elle-mĂȘme et pour son personnel masculin.
 « Un autre type de cycle, quotidien ou circadien, a souvent été ignoré ou considéré comme acquis par les hommes et les femmes »
La mĂ©nopause des hommes a fait lâobjet de recherches un peu plus frĂ©quentes que leur cycle mensuel, mais qui demeurent insuffisantes.
La mĂ©nopause des femmes dĂ©signe la fin abrupte dâune cyclicitĂ© Ă©vidente, rendue encore plus traumatique par divers facteurs culturels. Les femmes ĂągĂ©es sont souvent considĂ©rĂ©es comme prĂ©sentant moins de valeur sociale que les hommes ĂągĂ©s. Et le rĂŽle principal des femmes en tant que mĂšre sâachĂšve Ă lâheure de la mĂ©nopause, car les enfants prennent leur indĂ©pendance et quittent le domicile familial.
La mĂ©nopause des hommes semble moins traumatisante, en ce quâelle constitue une rĂ©ponse sociale et psychologique Ă une crainte gĂ©nĂ©ralisĂ©e de vieillir et de mourir. Ils sont alors vraisemblablement au sommet de leur carriĂšre pendant cette pĂ©riode particuliĂšre, ce qui contraste singuliĂšrement avec la place de la plupart des femmes. (Parmi les femmes, celles ayant constamment travaillĂ© de maniĂšre satisfaisante et valorisante souffrent nettement moins des symptĂŽmes de la mĂ©nopause.)
Cependant, il faut aussi noter que la baisse de sĂ©crĂ©tion de testostĂ©rone, lâhormone masculine, se fait progressivement entre la jeunesse et lâĂąge mĂ»r, bien que chez certains hommes, cette baisse de production de lâhormone sexuelle soit plus abrupte que chez dâautres. Peu dâĂ©tudes portent sur cette partie du cycle des hommes. Peut-ĂȘtre quâencore une fois, les hommes, mĂȘme scientifiques, nient leur cyclicitĂ©. (On peut aussi se demander sâils ne prĂ©fĂšrent pas ne pas le savoir.)
Il devient nĂ©cessaire de pousser les recherches sur la mĂ©nopause masculine pour pouvoir soulager mĂ©dicalement les hommes de certains symptĂŽmes et pour quâils souffrent moins des implications personnelles quâimplique le dĂ©ni de faits biologiques.
Tous les ĂȘtres vivants suivent un cycle lunaire, autant que des cycles plus longs comme lâenfance, la pubertĂ©, lâĂąge adulte et la sĂ©nescence. Toutefois, il existe un autre type de cycle, quotidien ou circadien, souvent ignorĂ© ou considĂ©rĂ© comme acquis par les hommes et les femmes.
Les donnĂ©es qui commencent Ă Ă©merger des hĂŽpitaux et des laboratoires sont Ă©tonnantes. Elles montrent que les hommes et les femmes naviguent dans un flux constant dâhormones, dâhumeurs, de force et de faiblesse selon un rythme de 24 heures. Nous dormons et nous nous Ă©veillons, la tempĂ©rature de notre corps croit et dĂ©croit au rythme des hormones (y compris, sexuelles), et cela cause des variations dâefficacitĂ© et de libido.
Ce rythme circadien apparaĂźt remarquablement rĂ©gulier au fil du temps, et le changement de mode de vie peine Ă le modifier. Il est aussi liĂ© Ă lâĂąge : les Ă©vĂ©nements biologiques des jeunes enfants sont moins prĂ©visibles, et les personnes plus ĂągĂ©es montrent des signes de dĂ©sorganisation dans leurs horaires. Matures et en bonne santĂ©, les adultes vivent une sĂ©rie de changements quotidiens avec la rĂ©gularitĂ© dâune horloge, tout comme ils et elles vivent les changements mensuels et des grands Ăąges de la vie.
Le cycle hormonal le plus étudié est celui des changements périodiques des hormones surrénales (comme la cortisone), aussi appelées hormones du stress. La sécrétion de ces substances vitales est maximale lors du réveil et minimale aprÚs minuit. Leurs effets physiologiques ne sont cependant pas ressentis avant plusieurs heures aprÚs les pics et creux constatés dans leur taux sanguin.
La sĂ©crĂ©tion des hormones sexuelles masculines et fĂ©minines suit un modĂšle similaire au fil de la journĂ©e. Les taux de testostĂ©rone sont maximaux tĂŽt le matin et minimaux aprĂšs minuit. Les effets fonctionnels semblent atteindre un pic plusieurs heures aprĂšs la sĂ©crĂ©tion effective des hormones. Elles provoquent des modifications subtiles dâhumeur et de comportement, mais les hommes en ont rarement conscience. Une foule de tests psychologiques ont toutefois dĂ©montrĂ© que les variations dâhumeur quotidiennes constituent une rĂ©elle toile de fond rĂ©currente sur laquelle se jouent les rĂ©ponses Ă©motionnelles.
Le monde mĂ©dical a prĂȘtĂ© relativement peu dâattention Ă la signification de ces variations hormonales cycliques. Pourtant, la criticitĂ© de lâhoraire dans lâadministration de mĂ©dicaments nâest plus Ă dĂ©montrer. Lâhoraire dĂ©termine les effets des mĂ©dicaments, toxiques ou curatifs.
Une dose donnĂ©e dâamphĂ©tamines administrĂ©e Ă des rats au pic quotidien de leur cycle de tempĂ©rature corporelle tue 77,6 % du groupe. La mĂȘme dose administrĂ©e Ă dâautres rats de la mĂȘme portĂ©e au plus bas quotidien de leur cycle dâactivitĂ© nâen tue que 6 %.
Nous persistons malgrĂ© tout Ă prescrire et Ă consommer des gĂ©lules qui sâapparentent Ă des dĂ©charges de chevrotine et libĂšrent les molĂ©cules en proportions constantes dans le flux sanguin sans tenir compte des variations de sensibilitĂ©. Les overdoses sont probablement autant des erreurs dâhoraires que des erreurs de dosage. Si une personne impose un stimuli puissant Ă son cerveau lorsquâil se trouve dĂ©jĂ en phase de pic dâexcitabilitĂ© quotidienne, elle sâexpose Ă un danger mortel, alors que la mĂȘme dose prise un autre jour Ă une autre phase du cycle dâexcitabilitĂ© ne prĂ©sente aucun risque.
Les cellules cancĂ©reuses semblent Ă©galement influencĂ©es par le rythme circadien. Elles se situeraient en phase dâactivitĂ© mĂ©tabolique et de division cellulaire hautes quand les cellules saines du mĂȘme organe seraient en phase basse. Cet aspect a de multiples implications sur les thĂ©rapies, quâil sâagisse de chimiothĂ©rapie ou de radiothĂ©rapie. Nous devrions au final parvenir Ă programmer les soins au moment oĂč les cellules cancĂ©reuses sont Ă leur pic de sensibilitĂ© face aux agents destructeurs, et oĂč les cellules saines, y rĂ©sistent le mieux. De moindres doses de ces agents toxiques soigneraient donc mieux, et le dĂ©sagrĂ©ment des effets secondaires sâen trouverait rĂ©duit.
Des spĂ©cialistes en clinique et en recherche commencent Ă suggĂ©rer que certaines catĂ©gories de cancers pourraient rĂ©sulter dâune altĂ©ration dâhorloge interne. Les cellules cancĂ©reuses adoptent un rythme anormal et ne suivent plus la discipline temporelle des tissus sains. Certaines personnes sont plus sensibles Ă une altĂ©ration de leur cyclicitĂ© fondamentale.
Au vu de ces deux constats, des Ă©quipes de recherche Ă©mettent lâhypothĂšse que lâhĂ©ritabilitĂ© du cancer pourrait ĂȘtre corrĂ©lĂ©e Ă une propension au dĂ©rĂšglement. La vitesse de rĂ©ajustement dâune personne au travail de nuit pourrait alors constituer un indicateur de vulnĂ©rabilitĂ© aux maladies liĂ©es au dĂ©rĂšglement temporel. Ces individus, soulignent les conclusions de recherche, devraient donc Ă©viter les horaires de travail irrĂ©guliers et les postes en Ă©quipes. Cette hypothĂšse encore thĂ©orique pourrait dĂ©boucher sur des concepts vitaux de mĂ©decine prĂ©ventive Ă lâavenir.
Les troubles Ă©motionnels peuvent Ă©galement ĂȘtre accentuĂ©s chez les personnes qui modifient frĂ©quemment leur cyclicitĂ©. (Mais la tolĂ©rance individuelle varie. IdĂ©alement, on pourrait exclure de ce type de poste les personnes les moins adaptĂ©es.) Les Ă©tudes montrent que les ouvriers et ouvriĂšres qui changent souvent dâĂ©quipe de jour et de nuit sont les plus vulnĂ©rables aux troubles Ă©motionnels et physiques.
Viennent ensuite les ouvriers et ouvriĂšres qui restent en Ă©quipe de nuit, et prĂ©sentent plus dâulcĂšres ou de troubles nerveux que leurs collĂšgues travaillant de jour. On constate que les personnes travaillant rĂ©guliĂšrement de jour sont celles en meilleure santĂ©.
Qui vole de nuit entre Tokyo et Beijing voit son rythme circadien sĂ©rieusement perturbĂ©. Son activitĂ© cĂ©rĂ©brale en pĂątit Ă©galement. En outre, tout le monde ne dispose pas des mĂȘmes capacitĂ©s Ă rĂ©cupĂ©rer et Ă reprendre un cycle normal de sommeil, de performance ou gĂ©nĂ©ral.
Certains des tests prĂ©fĂ©rĂ©s des hommes en matiĂšre dâendurance sont liĂ©s Ă la capacitĂ© de fonctionner de maniĂšre satisfaisante sans sommeil. Se pourrait-il que nous fassions lourdement erreur ? Les internes, par exemple, travaillent traditionnellement en Ă©quipes 24h/24h pendant la majeure partie de leur internat. Tout se dĂ©roule comme si cet aspect faisait partie intĂ©grante de la formation des mĂ©decins, Ă lâimage des rites de passage de la pubertĂ© chez les premiĂšres nations. Une Ă©tude rĂ©cente parue dans le New England Journal of Medicine indique que la privation de sommeil chronique nuit gravement Ă la performance des internes, indĂ©pendamment du degrĂ© de virilitĂ© du ou de la stagiaire.
LâĂ©tude constate que « les internes que lâon prive de sommeil ressentent davantage de tristesse et une baisse dâĂ©nergie, des signes dâĂ©goĂŻsme et de perturbation sociale. En outre, ils et elles dĂ©veloppent nombre de symptĂŽmes psychopathologiquesâŠÂ »
Nous ne remettons pas nos horloges internes Ă zĂ©ro si aisĂ©ment. MĂȘme aprĂšs dix heures de sommeil, la privation de sommeil antĂ©rieure entraĂźne une « baisse de vigilance Ă la tĂąche ». Lâarticle conclut sur le fait que nous ne rĂ©sistons quâĂ un faible manque de sommeil avant que nos fonctions Ă©motionnelles et intellectuelles ne se dĂ©tĂ©riorent.
Les hommes ont du mal Ă admettre quâils ne maĂźtrisent pas la nature. Pendant la DeuxiĂšme guerre mondiale, le docteur Nathaniel Kleitman de lâuniversitĂ© de Chicago a Ă©tudiĂ© pour la Navy les schĂ©mas de sommeil des marins, qui travaillaient traditionnellement en Ă©quipe de quatre heures pendant leurs obligations militaires. Le docteur Kleitman a mesurĂ© les cycles de tempĂ©rature corporelle et corrĂ©lĂ© ces variations avec lâefficacitĂ© de leur performance durant le cycle de quatre heures. La conclusion sans appel a montrĂ© que cette gestion physiologique catastrophique de la flotte entraĂźnait des coĂ»ts gigantesques liĂ©s Ă lâinefficacitĂ© des rĂ©actions.
Le docteur Kleitman a publiĂ© un rapport scientifique Ă©loquent sur ses conclusions. La Navy lâa remerciĂ© courtoisement et poursuivi les cycles de quatre heures de travail jusquâĂ ce jour.
« Les chaĂźnes des femmes ont Ă©tĂ© forgĂ©es par les hommes, pas par lâanatomie. »
Au vu de ces donnĂ©es et dâune foule dâautres preuves de rĂ©sistance masculine, il est peut-ĂȘtre optimiste de sâimaginer que nos hiĂ©rarchies masculines acceptent de prendre des leçons auprĂšs de femmes, ou mĂȘme de Japonais, dans le domaine difficile Ă admettre des cycles mensuels. Lâeffondrement du mythe de la stabilitĂ© masculine pourrait gĂ©nĂ©rer chez les hommes le mĂȘme type de traumatisme que celui infligĂ© par Copernic, Ă savoir que les hommes nâoccupent pas le centre de lâunivers.
Toutefois, les hommes â et les femmes â ne doivent pas perdre espoir. Ce qui nous sĂ©pare des babouins et dâautres animaux, mĂȘme si Lionel Tiger a du mal Ă le reconnaĂźtre, câest notre cortex cĂ©rĂ©bral, trĂšs diffĂ©rent.
En tant quâHomo Sapiens, nous sommes les ĂȘtres pensants. Nous partageons avec dâautres crĂ©atures vivantes des chaĂźnes temporelles. Cependant, les ĂȘtres humains seuls, disposent de lâextraordinaire plasticitĂ© de comportement liĂ©e aux capacitĂ©s exceptionnelles de notre cortex cĂ©rĂ©bral. En dâautres mots, nos esprits contrĂŽlent nos comportements Ă un point quâaucun autre animal nâatteint. Nous vivrions peut-ĂȘtre mieux, toutes et tous, si nous reconnaissions les cycles contrĂŽlant les ĂȘtres humains, hommes et femmes, ainsi que les capacitĂ©s intellectuelles qui peuvent en attĂ©nuer les symptĂŽmes.
Thomas Jefferson a souffert de migraines chroniques tout au long de sa vie. Abraham Lincoln traversait des pĂ©riodes de dĂ©pression chronique. Les candidates potentielles au pouvoir dans ce pays ont des cycles, comme tous les ĂȘtres vivants Ă divers degrĂ©s. Cependant, les femmes ne sont pas encouragĂ©es Ă les attĂ©nuer et travailler sur leur cycle. Les chaĂźnes des femmes ont Ă©tĂ© forgĂ©es par les hommes, pas par lâanatomie.
Nous devrions toutes et tous avoir pleinement connaissance des diverses forces qui nous influencent.
« Et le Temps me piĂ©geait, vert et mourant, Â
 Tandis que je chantais dans mes chaßnes comme la mer. »
Dylan Thomas
Source : 27 mai 2020, DrE Estelle Ramey et Jessica Stender
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